5 Mars - 29 Avril 2003
BENJAMIN SABATIER
Peinture en Kit (Noirmont Prospect)
galerie jerome de noirmont

Pointillisme proto-pop, VOJ 4983. peinture en kit, 2002. Punaises, boîte en carton, manuel de montage, patron et outils. Diamètre : 143 cm - 56 1/4 in.

communique de presse

Du 5 mars au 29 avril, NOIRMONT PROSPECT présentera la toute première exposition personnelle en galerie du jeune artiste Benjamin Sabatier : PEINTURE EN KIT développe de manière quasi exhaustive un concept aussi étonnant qu´innovant, qui place l´oeuvre d´art au coeur de la réalité socio-économique contemporaine et nous interroge sur différentes caractéristiques de notre société - la standardisation, le consumérisme à tout crin, l´aliénation du travail et par le travail (dont l´étymologie latine est, rappelons-le, "tripalium" : instrument de torture), la répétition infinie des gestes - et la place que ces réflexions sociologiques essentielles occupent dans l´art actuel.

Réalisées in situ, les oeuvres exposées de Benjamin Sabatier se présentent sous forme de "kits". Edités à seulement trois exemplaires, ces kits se composent d´une boîte en carton dans laquelle se trouvent des punaises de couleur, un punaiseur et un poinçon, ainsi qu´un patron guidant l´apposition des punaises et un mode d´emploi en six langues dans lequel le collectionneur trouvera le certificat d´authenticité de l´oeuvre, signé, daté et numéroté par l´artiste. Benjamin Sabatier propose au collectionneur de s´impliquer réellement dans sa démarche artistique, puique celui-ci devra effectuer lui-même l´installation de son oeuvre, quittant ainsi la position confortable d´acheteur "passif" pour devenir artiste à son tour.

Né en 1977, Benjamin Sabatier a été très tôt immergé dans une atmosphère artistique forte et stimulante. Son père, professeur d´arts plastiques et figure dynamique de la vie artistique du Mans, invitait des artistes contemporains (Boisrond, Combas, Haring...) dans la Sarthe lors des célèbres "24 heures du Mans", afin de créer l´événement artistique autour de la performance sportive. En 1984, le tout jeune Benjamin Sabatier, alors âgé de sept ans, rencontre Keith Haring et participe, avec une étonnante maturité, à la réalisation de quelques oeuvres en collaboration avec l´artiste américain. Ces oeuvres ont d´ailleurs été exposées à Paris à la Fondation Dina Vierny - Musée Maillol lors de la rétrospective Keith Haring - Made in France, en 1999.

L´ART AU TRAVAIL

Dans une même et rigoureuse démarche artistique, Benjamin Sabatier investit différents médias plastiques : peinture, sculpture, installation, vidéo, performance... Loin de constituer un ensemble hétéroclite et disparate, chacun des champs artistiques explorés nous interroge sur la place de l´art et de l´individu face au travail, à la production et à ses implications sociales :

- En septembre 2001 à l´Abbaye Saint-Vincent du Mans, il expose des toiles tridimensionnelles (3 mètres de côté !) relevant autant de la peinture, de la sculpture que de l´installation. Ces oeuvres sont réalisées avec des pages de catalogues de vente par correspondance, choisies en fonction de la dominante chromatique qu´elles offrent une fois compactées et "moulées" dans un bac à glaçons. Une fois mises en place, assemblées les unes aux autres comme autant de touches colorées, les pages ainsi compactées et agencées composent d´étranges et écrasantes oeuvres abstraites.

- En mars 2002, Benjamin Sabatier fait sensation en investissant cinq jours durant le Palais de Tokyo, pour une performance saisissante et très remarquée : "35 heures de travail". Taillant des crayons à papier 7 heures par jour cinq jours de suite dans un coin du Palais de Tokyo, Benjamin Sabatier déplace, par un geste répétitif poussé à l´absurde, l´idée du travail dans le domaine de l´art et ouvre ainsi le domaine de l´art à l´expérience physique du travail, à l´expérience du corps soumis au temps de travail...

PEINTURE EN KIT s´inscrit pleinement dans cette recherche et invite le collectionneur à participer activement et "réellement" à cette réflexion. À la manière d´un showroom high-tech, les installations murales de Benjamin Sabatier, composées de 1500 à 8000 punaises, investiront les murs du NOIRMONT PROSPECT, figurant des motifs géométriques plus ou moins complexes pouvant atteindre 1,40 mètre de diamètre. A la fois créations in situ, reproductibles et éphémères, ces installations sont les reflets d´un mode de fonctionnement contemporain qui consomme et jette à tout va.

Travaillant sur l´idée de répétition du geste, l´artiste souligne l´importance du corps au travail, dans son aspect le plus aliénant (cadences infernales, mouvements répétitifs, absence de "sens" et de but, dématérialisation de l´outil de production, standardisation...). Ici l´action même de créer, de "travailler" est aussi importante que le "produit", le fruit du travail, l´oeuvre obtenue.

A ce titre, parce qu´il met en scène la sérialité et la répétition, parce qu´il considère le produit manufacturé comme une fin en soi, parce qu´il abolit les frontières désormais ténues entre l´oeuvre d´art et le produit de grande consommation, parce que sa démarche se veut sociale et populaire, on peut rapprocher Benjamin Sabatier des grands "conceptuels" du vingtième siècle : Marcel Duchamp, Andy Warhol... Mais à la différence de Duchamp et de ses ready-made, Benjamin Sabatier propose des "to be made", où l´oeuvre une fois acquise reste à faire par le collectionneur. L´artiste implique ainsi le collectionneur dans la confection et la production même de l´oeuvre, l´immisçant dans la création par une participation active.

DU KIT A L´OEUVRE D´ART

Pour répondre à cette exigence et lui donner vie, Benjamin Sabatier a créé l´International Benjamin Kit, IBK. Au-delà de l´oeuvre elle-même, IBK est un véritable dispositif qui pastiche les techniques et les structures proprement dites de l´entreprise industrielle moderne. Aussi, IBK se pose comme une référence directe à l´enseigne IKÉA, tant dans le principe du kit que phonétiquement. L´artiste reprend pour son compte, en l´intégrant dans sa démarche artistique, l´ensemble de la stratégie du "Kit IKEA", de la conception de l´objet, au marketing du produit, même s´il s´agit ici d´oeuvres d´art en édition très limitée. L´allitération avec l´IBK d´Yves Klein, ce pigment bleu si particulier, est aussi une évidence. Cette double et paradoxale référence dans ce même logo, entre l´omniprésence industrielle et formatée du géant suédois et la grâce éthérée de l´artiste niçois, résume et intègre pleinement l´ensemble du discours de Benjamin Sabatier entre art et commerce, standardisation et conceptualisation.

L´artiste déplace le fait social du kit dans la sphère artistique en y introduisant "Le prêt à consommer". L´objet manufacturé trouve ainsi sa place, grâce à la démarche de l´artiste, dans un monde encore insoupçonnable au regard de sa fonction première de simple matériau consommable et périssable. Simultanément, Benjamin Sabatier crée une illusion. Car bien loin d´être un produit de grande consommation, l´IBK est une oeuvre d´art à part entière, éditée à trois exemplaires seulement. L´illusion est portée ici à son paroxysme, car si l´imitation du produit manufacturé est parfaite dans ses moindres détails, chaque élément du kit est élaboré de manière authentique et artisanale. Benjamin Sabatier pousse la perfection de sa démarche jusqu´à créer et inventer, pour l´IBK, un véritable outil, le punaiseur (comme IKEA, dans son temps, a créé des "clés universelles" pour monter ses meubles en un tour de main), dont l´existence est intimement liée au kit et qui ne tire sa raison d´être qu´à travers celui-ci.

Benjamin Sabatier limite volontairement l´éventail de ses possibilités, poursuivant ainsi sa mise en scène d´une standardisation des produits : il travaille sur un échantillon réduit de dix couleurs de punaises (dont le noir et le blanc), utilisant 1 à 6 couleurs par oeuvre. Bien que ces punaises soient des produits manufacturés courants, elles demeurent introuvables en grande quantité dans le commerce de détail. L´artiste a ainsi dû s´immiscer et prendre une part active dans les chaînes de standardisation qui marquent notre environnement ; traiter avec des grossistes qui voyaient dans ces commandes de plus de 700.000 punaises la simple démarche d´un détaillant tentant de prendre une place sur leur marché...

Une fois que le collectionneur a fait l´acquisition du Kit correspondant à l´oeuvre qu´il a choisi, il devra procéder lui-même à la mise en place de l´oeuvre chez lui par un travail méticuleux et rigoureux. Benjamin Sabatier réaffirme jusque dans ses moindres détails la corrélation entre la consommation de masse, telle qu´elle peut apparaître dans la mise sur le marché de produits prêts à consommer, et la création d´une oeuvre d´art. Grâce à Peinture en Kit, l´art s´introduit dans les modes de diffusion des produits de grande consommation et s´interroge sur la portée exacte de l´étendue de ses moyens.

Au travers de ce dispositif, Benjamin Sabatier associe le collectionneur à ses propres questionnements:

- Quelle est la pérennité de l´oeuvre d´art ? Les punaises une fois posées sur le mur ne peuvent plus être déplacées ; l´installation est définitive. Hormis l´hypothèse où l´oeuvre serait maintenue dans sa forme primitive de kit, l´oeuvre ne pourra pas être revendue dans son état d´origine. L´artiste insiste ici sur la notion de consommation périssable de l´oeuvre d´art, au même titre qu´un produit manufacturé.

- Quel est le prix d´une oeuvre d´art qui se veut "sociale" ? Benjamin Sabatier a créé au total 33 oeuvres éditées à 3 exemplaires numérotés de 1 à 3 (sans épreuve d´artiste), dont une dizaine seulement seront exposées. Dans une telle réflexion sur le travail et la standardisation, le prix de vente participe à la démarche artistique et conceptuelle, car un tel kit doit être par définition abordable et "populaire". Le prix moyen est de 500 euros, et varie selon la taille du kit. Ce prix s´inscrit pleinement dans l´ensemble du dispositif créé où l´oeuvre d´art se présente réellement comme un produit de grande consommation. Le "titre" des oeuvres, aussi, se présente sous forme d´un numéro de série choisi en fonction des couleurs et du nombre de punaises nécessaires à la fabrication de l´oeuvre et est apposé comme une étiquette sur le kit.

Benjamin Sabatier apportera un soin tout particulier à l´accrochage de l´exposition qui fait partie intégrante de sa démarche, pastichant résolument, jusque dans les moindres détails de la présentation des oeuvres, les techniques appliquées par les grandes surfaces de bricolage. Les kits seront exposés de manière pédagogique, à la fois sous la forme du kit en lui-même, disposé sur une étagère présentant l´ensemble de ses éléments, puis au stade de produit fini, l´oeuvre installée sur le mur, le kit monté comme le serait un meuble.

Dans ce même souci, un dépliant explicatif, au prime abord en tout point similaire aux modules de montages des meubles IKEA, sera mis à la disposition des amateurs. L´artiste y illustrera l´ensemble du dispositif mis en place, aux côtés d´un texte de la critique d´art Léa Gauthier qui s´annonce comme une performance littéraire. Bien au-delà d´un simple prospectus, ce dépliant matérialisera la nature de cette exposition hors du commun imprégnée d´une dimension pédagogique qui lui apporte toute sa cohérence et sa globalité.

A l´entrée de l´exposition, une vidéo de 5 minutes environ, éditée à cinquante exemplaires, développera et expliquera le montage du dispositif IBK sous la forme d´une présentation marketing comme il en existe dans les grandes surfaces. Bien que cette vidéo soit une oeuvre indépendante, elle s´inscrit dans l´ensemble du dispositif de l´exposition et n´existerait pas en dehors du kit proprement dit. Benjamin Sabatier pose là encore la question de l´héritage artistique commun de notre époque, notamment quant aux limites de la culture vidéo et cinématographique. Benjamin Sabatier poursuit ainsi son travail critique sur l´environnement social et les implications culturelles de notre système de consommation. Il s´interroge sur la place que l´on donne à tous ces éléments de notre conscience collective : dénué de tout intérêt à part l´intérêt purement pédagogique de l´objet, l´artiste leur apporte ici une dimension nouvelle en les introduisant dans le champ de l´art.

PEINTURE EN KIT s´annonce comme une exposition d´une rare richesse intellectuelle, qui brille par la pertinence de son concept, traité ici dans son entière globalité. D´une maturité artistique exemplaire, Benjamin Sabatier n´a rien laissé au hasard et son propos est infaillible. C´est à cet événement artistique fort que NOIRMONT PROSPECT vous invite à participer...