16 Septembre - 21 Novembre 2009
SHIRIN NESHAT
Games of desire (catalogue)
galerie jerome de noirmont

Games of Desire, 2009. Encre sur tirage couleur marouflé sur aluminium Format unique 127,3 x 84,7 cm. Edition à 5 exemplaires et 2 épreuves d’artiste

communique de presse

LES VOIX DU LAOS, LE REGARD DE SHIRIN NESHAT…


Shirin Neshat s’est rendue à Luang Prabang au Laos en 2005 puis en 2008, pour participer à un programme intitulé The Quiet in the Land , une invitation à concevoir un projet artistique qui évoque, d’une manière ou d’une autre, la culture laotienne. En tant qu’artiste iranienne investie surtout jusqu’alors dans des sujets islamiques, Neshat a d’abord estimé difficile de trouver un sujet qui lui paraisse familier et en résonance avec son propre langage artistique. Elle fut cependant rapidement frappée par la similitude entre le Laos et l’Iran dans leur histoire récente, politique et culturelle. A l’instar de la révolution islamique qui a renversé la monarchie en Iran en 1979, puis a radicalement islamisé le pays au point d’éliminer une grande partie des rituels et de la culture ancestrale Perses, le pouvoir communiste s’est aussi manifesté au Laos en 1975 et, en éliminant la monarchie, a tenté d’éradiquer la quasi-totalité de sa culture traditionnelle.

Un jour durant son premier voyage en 2005, Shirin Neshat assista à une cérémonie bouddhiste dans un monastère, cérémonie qui avait lieu en même temps qu’une fête locale. Sur le sol de ce monastère, un groupe d’hommes et de femmes âgés de 60 à 80 ans s’était réuni et chantait avec une allégresse jubilatoire. Elle apprit que c’étaient des chants de séduction laotiens, qu’ils avaient chantés pendant leur jeunesse… des chants qui relèvent d’un style musical appelé lam, qui fait partie des rituels de séduction traditionnels lors des mariages et autres fêtes, mais qui est récemment tombé en désuétude pour devenir un art à part entière.

Ces chants s’organisent sous la forme de joutes chantées entre des hommes et des femmes qui s’interpellent et se répondent des heures durant, dans un style métaphorique et poétique empreint d’un vocabulaire bucolique. Les métaphores font souvent allusion à la terre, à la végétation, aux animaux ou à tout autre élément naturel, la plupart des chanteurs étant des paysans qui vivent dans une extrême pauvreté.
Certains personnages excellent plus que d’autres à ces duels, grâce à une éloquence qui les prédispose à l’improvisation, illustrant la gradation diverse dans la qualité de l’expression de ces populations du Laos, pays où traditionnellement il n’existe pas de langue littéraire distincte du langage parlé ordinaire.

Une fois les chants traduits, l’artiste fut encore plus intriguée de découvrir que tous ces chants avaient une forte connotation sexuelle, érotique, parfois même obscène… Shirin Neshat trouva particulièrement ironique le fait que ces hommes et femmes, malgré leur âge avancé, la pauvreté et l’oppression politique ambiantes, puissent être si pleins de vie, de passion et d’énergie sexuelle. Ces chants, qui traitent de l’expérience amoureuse, proviennent en effet d’anciens rites de fiançailles et prennent la forme, lors des fêtes agraires, de luttes cérémonielles destinées à sceller les amitiés et les amours au sein de la communauté.

Dans un scénario toujours identique, les hommes et les femmes se répartissent en deux camps opposés, assis sur des nattes à même le sol ; chaque groupe assiste et provoque les acteurs du duel (un homme / une femme), et chacun participe activement à la confrontation en lançant des invectives toujours plus osées. Reposant toujours sur la symétrie des mots et la répétitivité des phrases, les échanges verbaux, au départ pudiques, font peu à peu place à une grivoiserie joyeuse et de plus en plus explicite…
Open my skirt so you can see the paradise ! There you can see the Naga’s (dragon) eyes in the water (…)
There you can see the God’s mouth in the sky ! Something black erected, you thought it was a hunter’s gun powder (…)
All we can see is the cat’s moustache, the tunnel is very dark

Dans une chorégraphie minimale, des gestes de ponctuation de la communication et des ondulations à peine sensibles du corps et des mains accompagnent la voix et ajoutent à la prestation des interprètes une note discrète d’érotisme.

C’est ainsi qu’en octobre 2008, Shirin Neshat est retournée à Luang Prabang avec un petit budget et un équipement léger, pour créer son projet intitulé Games of Desire avec deux groupes de 11 chanteuses et de 10 chanteurs issus de trois villages des environs de Luang Prabang, filmant une des formes les plus accomplies du lam.



Telle qu’on pourra la découvrir lors de l’exposition à la galerie du 16 septembre au 21 novembre, cette nouvelle série Games of Desire se compose d’une vidéo et d’une série parallèle de 14 photographies, des portraits figurant des personnages de la vidéo, dont 6 couples homme / femme.
La vidéo reprend une partition sexuée masculin / féminin très typique de la démarche de l’artiste, avec une installation sous forme de deux projections sur deux murs opposés entre lesquels se place le public, et soustrait les chanteurs à leur environnement pour se focaliser sur leur face-à-face, en effaçant tout décor.
Les photographies nous livrent étonnamment un regard très différent sur ces mêmes personnages ; le gros plan très circonscrit sur le visage fait place à un portrait en pied et à distance devant des peintures laotiennes ancestrales. Les portraits de ces hommes et femmes, tout à coup muets et le visage impassible, prennent une valeur mystérieuse grâce aux calligraphies à l’encre qui les recouvrent, l’artiste créant ici une union visuelle entre les cultures perse et laotienne.

Cette œuvre nous remémore immanquablement l’installation vidéo de 1998 de Shirin Neshat, Turbulent, qui lui valut de remporter le Lion d’Or de la Biennale de Venise en 1999 et qui était elle-même faite de deux projections sur murs opposés, où les spectateurs assistaient à un échange musical entre une chanteuse et un chanteur en Iran. Sur le premier écran, on voyait l’homme chanter des airs mélodieux en extérieur face à une assemblée masculine nombreuse ; puis sur le deuxième écran, la femme se mettait à son tour à chanter ou plutôt à psalmodier, seule et voilée face à une salle vide… Dans Games of Desire, l’artiste porte ce même regard sur une culture cette fois éloignée de la sienne et réaffirme ainsi son engagement dans une esthétique et un questionnement transculturels qui sont au cœur de sa démarche.