24 Mai - 13 Juillet 2002
NORITOSHI HIRAKAWA
Les Temps de Rien à Montpellier (Noirmont Prospect)
galerie jerome de noirmont

communique de presse

La seconde exposition à NOIRMONT PROSPECT fut consacrée à l´artiste japonais Noritoshi Hirakawa qui a dévoilé l´intégralité de son projet Les Temps de Rien à Montpellier (11 vidéos et 24 photographies) du 24 mai au 13 juillet.

Né en 1960 à Fukuola, Noritoshi Hirakawa vit et travaille à New York depuis 1993. Artiste polymorphe, il ne se cantonne pas uniquement à une production photographique riche et foisonnante, il investit avec talent différents territoires stylistiques : chorégraphie, littérature et dramaturgie.

Les Temps de Rien à Montpellier est une oeuvre exigeante et ambitieuse. Le travail de Noritoshi Hirakawa se situe au carrefour et à la pointe des disciplines les plus novatrices de notre époque : la danse, l´art vidéo et la photographie.

Ce projet a été conçu à l´origine pour le festival de danse contemporaine Montpellier Danse´01, et est constitué d´un ensemble de 11 vidéos et de 24 photographies. Dans le cadre de ce festival, seules les vidéos ont été présentées lors de projections simultanées des 11 films sur 5 écrans se faisant face, à l´espace Aldébaran Création Contemporaine. NOIRMONT PROSPECT a financé cette réalisation d´envergure et permis ainsi sa présentation.

DANSE : LE CORPS COMME MIROIR DE L´AME

Les Temps de Rien à Montpellier est une oeuvre faite en collaboration avec le chorégraphe montpelliérain Didier Théron, qui a littéralement "mis en mouvement et en espace" chacun des 11 scénarios de Noritoshi Hirakawa. Formé chez Dominique Bagouet et Merce Cunningham, les créations chorégraphiques de Didier Théron sont toujours à la limite même de l´équilibre et de la rupture, plaçant ses danseurs tant dans la verticalité que dans l´horizontalité. Il refuse ainsi l´écueil d´une danse contemporaine empesée ou de pur "divertissement".

La danse est avant tout l´art de l´espace, du temps, du mouvement et des corps. Une des grandes réussites de Noritoshi Hirakawa et de Didier Théron est d´avoir su occuper l´espace chorégraphique d´une manière inédite. En effet, l´une des problématiques majeures de la danse contemporaine est le rapport entre l´espace à occuper - circonscrit à un lieu (la scène) et à un moment (la représentation) - et le public placé face à celle-ci. En abolissant la scène "classique", en intégrant les chorégraphies à un espace libre et infini et en choisissant d´en présenter une version "enregistrée", Noritoshi Hirakawa se joue de ces principes essentiels. Il n´y a donc plus aucun lien ici avec le temps théâtral qui a forcément un début et une fin inévitables. En proposant un environnement ouvert (Montpellier) et un temps infini (les 11 films passent en boucle), il s´agit alors plutôt d´une présentation que d´une représentation.

Afin de donner corps à ce projet, Noritoshi Hirakawa et Didier Théron ont auditionné à Montpellier et à Paris près d´une centaine de danseurs avant de n´en choisir que sept, deux hommes et cinq femmes. Ces derniers ont évidemment été choisis pour leur talent, mais aussi pour leur capacité d´improvisation et leur faculté à s´intégrer pleinement dans ce projet.

Par souci de vérité, chaque danseur porte des vêtements de tous les jours et les mouvements imposés sont ceux de la "vraie vie". Même s´il s´agit d´un projet chorégraphique, tout est conçu comme une transcription fidèle de la réalité : les mouvements "dansés" soulignent par le corps ce que l´esprit ressent. En effet, notre gestuelle, nos attitudes trahissent notre inconscient et sont souvent en contradiction avec nos paroles. Ici, le corps désirant s´impose, l´érotisme s´expose, la vie par essence est un excès. Si la pression culturelle inhibe les corps, il s´agit alors de les faire parler, si elle régule les comportements, de montrer la subjectivité. En choisissant l´enregistrement vidéo, Noritoshi Hirakawa laisse les danseurs libres de leurs mouvements : ils n´ont plus conscience d´être regardés (contrairement à la scène) et agissent ainsi avec plus de relâchement, de sincérité et d´innocence.

VIDEO : CES PETITS RIENS...

Les 11 vidéos des Temps de Rien à Montpellier (éditées à 5 exemplaires numérotés dans un pressage DVD impeccable) étaient présentées à NOIRMONT PROSPECT dans leur intégralité, à la suite les unes des autres et sur un seul écran. Chacune des 11 histoires courtes (de 3 à 15 minutes chacune pour une durée totale de 1 h 50 environ) est un film à part entière, indépendant, parfois lié aux autres films par un personnage ou un lieu. Les acteurs-danseurs sont dirigés dans différents lieux publics montpelliérains (Promenade du Peyrou, l´esplanade Charles de Gaulle, le Musée Fabre...) ou des endroits privés (appartement, bureau...) et ils doivent faire face, dans des situations de la vie quotidienne, à des événements qui, tout en étant ordinaires, rompent avec la monotonie de leur existence.

Il y a quelque chose d´Eric Rohmer ou de Tsai Ming-Liang dans les films de Noritoshi Hirakawa : cette manière gracieuse de jouer avec le temps, l´attente et le désir, cette volonté acharnée de s´attacher aux petites choses, à tous ces "petits riens", ces événements a priori anodins qui font notre quotidien. Les jeunes protagonistes de ces oeuvres semblent se trouver dans une période de fragilité mentale et spirituelle, portés par les événements qu´ils subissent plus qu´ils ne les provoquent. Dans l´expectative la plus totale, ils attendent un signe du futur, une bouffée d´air salvatrice qui les pousseraient à continuer et à ne pas lâcher prise (l´attente désordonnée et illusoire de l´héroïne de Un Jour, la solitude désabusée des personnages de La Dune...). Noritoshi Hirakawa présente ainsi l´envers du décor de Montpellier, sans moments heureux, ni plaisir ou abandon. Le contraste entre le soleil et la douceur méridionale, les vêtements légers, l´omniprésence de la jeunesse étudiante, la lumière aveuglante, et le spleen émanant des personnages est à plus d´un titre saisissant, mais se traduit comme une source d´éveil à la sensualité.

"Je produis des oeuvres à partir du postulat qu´il s´agit du meilleur moyen de rendre publique mon expérience du monde et d´en faire un champ de proposition". Noritoshi Hirakawa est profondément marqué par son héritage culturel japonais : non-dits et refoulement, un idéal d´ordre et d´hygiène. Les photographies et les vidéos présentées ici sont le fruit d´un regard décalé et critique sur les comportements sociaux et culturels de ses compatriotes. Par exemple, dans la société japonaise, il est très mal vu pour des jeunes gens de montrer les gestes du désir, surtout sexuel, en dehors de la sphère de l´intime. Les Temps de Rien à Montpellier nous interrogent sur les possibilités de dépassement de ces limites en plaçant le spectateur face à des situations anodines en apparence, mais qui cachent en vérité des transgressions inhabituelles et révèlent des interdits sociaux (dans Le Vélo une jeune fille fait l´amour avec un inconnu, dans Le Café, un jeune homme ose des gestes déplacés...). En dévoilant des scènes intimes expérimentées dans l´espace public, l´artiste casse ainsi l´idéal japonais aseptisé et associe l´innocence apparente de ses protagonistes au sexe voire à la souillure (dans tous ses films, le sexe et les désirs furtifs sont très présents, tout comme le sont les sécrétions corporelles...)

PHOTOGRAPHIE : UNE SENSUALITE INTRIGANTE...

Parallèlement à la projection des 11 histoires courtes qui constitue la partie filmée et chorégraphiée des Temps de Rien à Montpellier, Noritoshi Hirakawa dévoilera également une série de 24 photographies éponymes. Il ne s´agit pas là de photographies de plateau ou d´images volées au film, mais de véritables oeuvres à part entière. C´est un travail indépendant mené de pair avec l´oeuvre filmée dont il recrée l´atmosphère. Captant l´essence même des vidéos, il transparaît de ces images une sensualité diffuse où la grâce des mouvements et la mélancolie de l´instant est presque palpable, irradiée par la lumière si particulière de Montpellier à la fois blanche et intense.

Suivant le même processus narratif que les vidéos, les photographies, une fois sorties du contexte du film, apparaissent comme autant d´énigmes : Qu´arrive-t-il à cette femme sur le bord de la route (La Dune II) ? Qui sont ces deux corps à moitié ensevelis sur le bord de la rivière (Poète III) ? Et ce couple dans l´herbe - assiste-t-on à une scène de violence ou à une scène d´amour ("Le Vélo III") ? Tirées à 10 exemplaires seulement et présentées dans un cadre-boîte en plexiglas, il s´agit de petits joyaux qui ne manqueront pas d´intriguer et de satisfaire les amateurs d´une photographie pure et exigeante, loin des artifices faciles d´une séduction "décorative".

En choisissant d´inscrire ses créations dans le temps présent et de rester proche de nos préoccupations, Noritoshi Hirakawa prouve que la transversalité entre les arts est une réalité concrète et excitante ! Avec Les Temps de Rien à Montpellier sa première exposition de vidéos, NOIRMONT PROSPECT vous invitait à participer à cette expérimentation audacieuse.