23 Mai - 12 Juillet 2012
BENJAMIN SABATIER
Hard Work (catalogue)
galerie jerome de noirmont

Benjamin Sabatier. Base V, 2012. Béton, polystyrène, pot de peinture en métal, acrylique, résine et bois. 110 x 70 x 75 cm. (c)Benjamin Sabatier. Courtesy Galerie Jérôme de Noirmont.

communique de presse

OÙ LE TRAVAIL DEVIENT ART

 

 

Benjamin Sabatier est de ces artistes qui s’adressent au monde. Depuis sa performance réalisée au Palais de Tokyo en 2002, son discours et sa pratique artistique s’inscrivent dans un contexte socio-économique où le travail apparaît comme l’étalon modèle de nos sociétés actuelles. L’exposition Chantier organisée à la galerie en 2008, nous projetait déjà dans l’univers du travail et dans la fabrique de l’œuvre elle-même, l’œuvre étant le lieu où l’on ressent le poids du temps et du travail.

Pour sa cinquième exposition personnelle à la galerie du 23 mai au 12 juillet, comme un troublant écho au slogan de la Ford Company « Work easily, play Hard », apparaît ce lapidaire et cinglant constat : Hard Work. Aussi simple qu’efficace, ce titre n’en multiplie pas moins les pistes de lecture et les possibles évocations, constituant en cela une parfaite illustration du mode opératoire de Benjamin Sabatier.

Au-delà du clin d’œil à la musique rock, c’est le geste créateur de l’artiste qui est interrogé. L’ensemble des 20 installations et sculptures exposées est constitué de matériaux bruts comme le béton, la brique ou le métal sous la forme d’étais, de canettes de bière et de barils ; les processus de fabrication sont ainsi très lisibles. Benjamin Sabatier crée ici une « esthétique du labeur » comme une manière de réinvestir le réel.

Pourtant, à y regarder de plus près, le travail que suggère le titre semble moins imputable à l’artiste qu’aux matériaux eux-mêmes, comme si le rôle de l’artiste avait été de littéralement mettre la matière brute au travail par des jeux simples de poussée, d’écrasement, de déversement… L’outil - liant, transformant, déformant - est mis en scène lui aussi, dans sa plus simple expression.

Dans Briques II (2012), l’assemblage d’éléments séparés est obtenu par des serre-joints. Ils deviennent alors eux-mêmes des éléments plastiques de l’œuvre, tout en permettant à la sculpture de s’élever dans l’espace. Ce dynamisme construit n’est pas sans rappeler le constructivisme de Tatline. Une sorte d’assemblage « néo-constructiviste héroïco-ironique » selon les mots de l’historienne de l’art Cécile Pichon-Bonin, pour qui « le propos de Sabatier se situe précisément dans cet interstice qui sépare le travail et son produit, réactualisant l’interrogation centrale des Constructivistes autour de l’abolition de la séparation entre art et travail. »

Dans la série Rack (2009-2010), les sculptures sont issues de sacs de sable à béton vidés et remplis à nouveau de béton. Ils sont ensuite mis à sécher sur des équerres et des crémaillères métalliques. Ces sculptures une fois sèches sont alors retirées de leur contenant en plastique. Les sacs font désormais corps avec leur système d’accrochage et de suspension.
Le béton garde l’empreinte du support de séchage et laisse apparaître son propre poids dû au principe d’attraction ; or on ressent une impression de légèreté d’autant plus prégnante que les sacs semblent s’être transformés en coussins.

Sabatier explore les limites possibles, fonctionnant par oppositions simples et radicales et par inversion des rapports de force : entre lourdeur et légèreté, solidité et fragilité. La série Cans (2012) tisse le lien entre ces paradoxes apparents : les canettes deviennent le support du bloc de béton ; un conflit de matériaux qui régit l’essence même de ces œuvres.
Cette dichotomie entre poids des matériaux et sensation de légèreté est récurrente dans ces nouvelles séries. Benjamin Sabatier joue avec les matières comme avec le rapport entre contenant et contenu. Avec Etai V (2012), la forme de la sculpture est obtenue par la pression d’un étai sur un pot de peinture. Le socle devient le réceptacle de ce que le pot contenait. Ailleurs, avec Etai III (2012), Barrel (2010) et Barrel II (2010), c’est une pression verticale entre sol et plafond qui provoque la déformation.
Dans la série Base (2012), les contenants (canettes de bières, pots de peintures…) sont écrasés entre un bloc de béton et le socle sur lequel ils sont posés, libérant leur contenu pour devenir matière picturale et ajouter au caractère plastique de l’œuvre.

Tout est visible, prêt à être reproduit. Les œuvres de Benjamin Sabatier fonctionnent presque comme des prototypes. Chaque sculpture semble évidente dans sa conception et sa construction. Une lecture immédiate pour le spectateur, qui rappelle la formule « Do It Yourself » chère à l’artiste, que l’on retrouve dans Hard Work (DIY) (2012) : des centaines de clous à planter à même le mur dessinent le titre en creux. Un geste faussement brut au premier regard qui apparaît en négatif telle une fiction et qui dévoile une composition construite et réfléchie. L’œuvre est proposée en kit, le kit devenant ici la « clé universelle » qui associe le collectionneur au geste créatif. Une corrélation entre consommation de masse et sphère artistique que la galerie avait mise en avant dès 2003 avec sa première exposition personnelle, Peinture en Kit, au Noirmont Prospect, en écho à l’International Benjamin’s Kit (IBK) développé par l’artiste depuis 2001.

Le Tableau n°4 (Do It Yourself) (2011-2012) rend compte du processus de création à l’origine de cette exposition et fonctionne comme un récapitulatif des différents stades du projet. Les dessins, simplement punaisés sur une planche de contreplaqué, reconstituent le cheminement de la pensée de l’artiste : croquis d’œuvres déjà réalisées ou d’autres qui ne verront peut-être jamais le jour… Dans la continuité du processus créatif déjà apparu dans l’exposition Chantier, ce véritable « mur d’enquête » expose de manière visible et lisible les dessins préparatoires aux propositions esthétiques de Sabatier, faisant de ces « esquisses » une composition plastique à part entière.