4 Février - 24 Mars 2011
ALREADY-MADE ?
Exposition de groupe
galerie jerome de noirmont

McDermott & McGough, The secrets of Love, 1966, 2010 Huile sur bois 23 x 42,8 x 29,8 cm (c) McDermott & McGough. Courtesy Galerie Jérôme de Noirmont, Paris.

communique de presse

En 1913, Marcel Duchamp élaborait la notion artistique du ready-made en le définissant comme un « objet usuel promu à la dignité d’œuvre d’art par le simple choix de l’artiste ». L’attitude initiale, celle qui définit encore aujourd’hui le strict ready-made, consiste à choisir un objet manufacturé et à le désigner comme œuvre d’art.

Cette démarche, que Marcel Duchamp fit évoluer lui-même pour donner naissance au « ready-made aidé » par une intervention minimale de l’artiste, ou au « ready-made réciproque» qui souligne l’antinomie fondamentale entre art et ready-made, sous-tend une grande partie des pratiques artistiques actuelles, qu’elles s’en réclament ou qu’elles s’en défendent, et a largement contribué à la nature essentiellement conceptuelle de bon nombre d’œuvres contemporaines.

L’exposition Already-Made ?, présentée à la galerie du 4 février au 24 mars 2011, met précisément en évidence l’importance et la diversité de cette appréhension contemporaine du ready-made, qu’il s’agisse d’assemblage d’objets trouvés, de détournement d’objets ou d’une conception centrée sur la valeur symbolique et métaphorique de l’objet…

La sélection, faite ici uniquement parmi des œuvres contemporaines que possède la galerie, est basée sur l’utilisation récurrente ou ponctuelle de l’objet en ready-made au cœur de la démarche des artistes. Elle s’articule ainsi autour d’œuvres, soit historiques, soit nouvelles et inédites, d’artistes représentés par la galerie :



Valérie BELIN
Fabrice HYBER
Jeff KOONS
David MACH
McDERMOTT & McGOUGH
PIERRE et GILLES
Benjamin SABATIER



tout en mettant en avant d’autres démarches contemporaines fondées sur l’objet, avec des œuvres majeures de :


John M. ARMLEDER
collaboration BASQUIAT – CHIA - WARHOL
BEN
Subodh GUPTA
Cady NOLAND
Not VITAL


Il existe très peu de ready-made stricts dans l’art d’aujourd’hui. La référence à cette appellation pour désigner des œuvres contemporaines s’applique majoritairement à des « ready-made assistés», de nombreux artistes se limitant volontairement à une intervention plastique minimale pour faire écho à la démarche de Marcel Duchamp, dans un propos où la valeur conceptuelle de l’œuvre prime sur sa valeur esthétique ou plastique.


Né en Suisse, digne héritier de l’esprit dadaïste et du groupe Fluxus, John M. ARMLEDER incarne parfaitement l’esprit de cette démarche, élaborant un langage personnel qui mêle abstraction et réemploi de meubles, notamment dans sa série ancienne et déterminante des Furniture-Sculpture, des œuvres entre peinture et sculpture. A l’image de celle exposée ici, datant de 1987, qui juxtapose une simple étagère en bois utilisée comme ready-made avec une toile abstraite, cette série d’œuvres a inscrit définitivement l’artiste dans une postmodernité, mettant en exergue une pratique initiée avec des performances dans les années 1970 qui joue de l’intégration et de la perturbation des lieux.

La plupart des artistes contemporains qui s’inscrivent dans une telle démarche conceptuelle éprouve cependant le besoin de détourner l’objet de sa fonction première pour donner corps à leur démarche. C’est le cas des P.O.F. (Prototypes d’Objets en Fonctionnement) créés par Fabrice HYBER depuis 1991, dont les formes engendrent des comportements inédits, qu’il s’agisse du p.o.f. n°2 – Deep Narcissus, masque de plongée dont la vitre a été remplacée par un miroir intérieur, ou du p.o.f. n° 27 – Dessous de table (1997) où une béquille équipée d’un rétroviseur incite à un jeu facétieux… L’artiste ne se contente pas de changer l’appréhension de l’objet, comme l’avait fait Marcel Duchamp avec le porte-bouteille ou l’urinoir, il va ici jusqu’à détourner la fonctionnalité de l’objet pour en créer une nouvelle, issue de sa propre imagination.

Dans cette pratique du « ready-made assisté », on découvrira aussi les toutes nouvelles sculptures de Benjamin SABATIER, jeune artiste dont toute la démarche s’articule autour des préceptes de l’économie de masse et de la société de consommation appliqués à la création artistique. Après les Colonnes La Redoute ou Colonnes Livre de poche, dans un même souci d’économie de moyens, il nous dévoile ses Bases (2010), composées de cubes de béton écrasant par leur poids des cannettes, des pots de peinture ou des couvertures.

A leurs côtés, seront exposées une étonnante collaboration BASQUIAT - CHIA – WARHOL de 1985, Hood & Coathanger, dédicacée au couturier américain Halston et un tabouret en bois peint de 1969 intitulé joyeusement Ma mère a de l’arthrose de BEN, maître à penser d’une certaine vision ironique de l’art qui détourne tout objet environnant en y apposant ses slogans manifestes, l’objet devenant à la fois œuvre d’art et support d’une pensée artistique.


Avant de figurer en ready-made chez Duchamp, d’être détourné par l’esprit Dada et les Surréalistes, l’objet était déjà au cœur de la création artistique, y figurant pour son sens caché, pour sa valeur métaphorique ou symbolique, voire tel une allégorie philosophique comme dans la nature morte ou la vanité. Dans l’esprit Dada et le Surréalisme, c’est précisément cette valeur subjective et métaphorique de l’objet qui prévaut, son esthétique n’importe plus, l’artiste amenant ainsi le spectateur à percevoir l’œuvre plutôt qu’à la voir.

Au-delà d’être un élément de datation de leur création atemporelle, c’est cette utilisation subversive de l’objet à laquelle s’intéressent McDERMOTT & McGOUGH dans une partie de leur œuvre photographique, comme dans The Property of Her Majesty the Queen, 1922, palladium de 1993 figurant 2 rouleaux de papier WC…

D’une autre manière, c’est aussi en détachant un objet familier de son contexte usuel pour lui conférer une certaine abstraction, comme ici Untitled (Plaster of Paris) de 1999 qui figure une pipe monumentale, que l’artiste suisse Not VITAL exprime sa réflexion sur l’interférence entre identité individuelle et collective, entre le naturel et le culturel ; la force de notre mémoire collective permet ici au spectateur de percevoir le sens de l’œuvre.

Cependant, si le ready-made de Duchamp a une influence considérable dans la création artistique aujourd’hui, cela est lié en grande partie à la place primordiale accordée à la représentation de l’objet dans le Pop Art et dans toutes les démarches artistiques contemporaines qui en découlent. Dans la société de consommation qu’incarne l’Amérique des années 1950-60, le Pop Art détourne l’objet dans une démarche qui va bien au-delà du ready-made de Duchamp. Les objets représentés sur les œuvres de l’époque illustrent non seulement de manière symbolique la nouvelle modernité acquise par la société, « le progrès », mais figurent aussi pour leur valeur esthétique, les artistes revendiquant alors la culture populaire comme une source d’inspiration majeure. Pour de nombreux artistes contemporains, le concept du ready-made est toujours centré sur un investissement de la dimension métaphorique de l’objet, lequel invite souvent le spectateur à convoquer sa propre expérience et à investir ainsi l’œuvre de manière très personnelle.

Pour exprimer sa critique de l’ « American way of life » telle que colportée par les medias, Cady NOLAND utilise des objets de consommation courante et/ou des images très connotées, à forte valeur symbolique et métaphorique, dont la réunion ou l’assemblage forme le théâtre d’une archéologie sociale qui vise à démasquer la notion de rêve américain. L’œuvre historique exposée ici, Model for Entropy (1984), se compose d’une batte de base-ball, d’un ballon de basket, d’un casque de football américain et d’un livre sur la sociologie du sport…

L’œuvre de Jeff KOONS s’inscrit typiquement dans cette conception contemporaine du ready-made, qu’elle inclue l’objet dans son intégrité comme dans sa série Popeye Sculpture exposée en septembre - octobre derniers à la galerie, ou qu’elle le détourne, comme ici avec Ice Bucket (1986), fidèle réplique en inox d’un classique seau à glace en argent, issu de la série Luxury and Degradation, dans laquelle l’artiste dénonçait les slogans mensongers des publicités sur l’alcool qui promettent à tout un chacun d’accéder au luxe. C’est le choix subversif du matériau qui vient donner son sens à l’œuvre.

Cette « esthétique de la communication » s’applique d’une façon similaire à l’œuvre de Subodh GUPTA, qui utilise lui aussi les ustensiles de cuisine en inox pour nous livrer sa réflexion sur l’évolution de la société indienne, comme ici dans le tableau Untitled (from Series of Idol thief) I de 2006.

    Cette utilisation de l’objet pour le seul pouvoir de sa représentation s’exprime en réalité sous de multiples formes dans la création artistique contemporaine, qu’elle détermine l’essence même de l’œuvre ou qu’elle en sous-tende simplement la genèse.

McDERMOTT & McGOUGH ont créé de nouvelles sculptures en bois peint, copies conformes de cartons de conserves Del Monte ou Campbell déjà utilisés par Warhol, ici facticement remplis de bandes dessinées à l’eau de rose, dénonçant eux aussi à leur manière les travers cachés de l’« American way of life ».

David MACH ayant débuté sa carrière de sculpteur par des installations monumentales, a parfaitement conscience de l’aspect « spectaculaire » que peut prendre l’objet et il y fait sciemment appel dans ses assemblages étonnants faits de cintres, d’allumettes ou comme ici dans Dominatrix (2004), sculpture de femme en pied ironiquement intitulée ainsi en allusion aux dominos qui la composent, ou dans ses tout aussi fascinants collages de cartes postales qui composent un portrait tel Laughing Bhudda (2006).

Le travail si spécifique de PIERRE et GILLES s’inscrit dans une évolution contemporaine de l’Histoire de l’Art du Portrait, faisant donc toujours appel à l’objet comme un élément de décor de leurs compositions ou pour sa symbolique classique dans les scènes mythologiques et religieuses.
Plus étonnant ici, dans ce Goldorak (2010) inédit, l’objet devient le sujet même du portrait, le jouet incarnant à lui seul et avec force le héros dont il a tous les attributs.

Cette conceptualisation de l’objet a donné à de nombreuses expressions artistiques contemporaines un intérêt purement conceptuel, loin de toute recherche esthétique, pour se situer dans une « indifférence visuelle » déjà revendiquée par Duchamp. A l’inverse, certains artistes soulignent aujourd’hui la force de représentation de l’objet saisi en ready-made mais en faisant au contraire appel à la seule plastique de l’objet pour définir l’œuvre, dans une démarche qui s’apparente plus à l’émergence de nouveaux codes esthétiques. C’est précisément ce qui a guidé Valérie BELIN quand elle photographiait ses séries des Moteurs en 2002, des Palettes ou des Coffres-forts en 2005, dont certaines images sont exposées ici.

    Les ready-made, actes posés par leur initiateur comme une rupture au sein de l’histoire de l´art, sont donc aujourd’hui les sujets de multiples échos, comme autant de portes ouvertes sur des interprétations artistiques très différentes de l’objet. Cependant, toutes ces facettes du ready-made contemporain se rejoignent dans le fait que « c’est le regardeur qui fait l’oeuvre», concept fixé dès l’origine par Marcel Duchamp. Comme le souligne si justement Koons, aujourd’hui « les objets sont secondaires ; ils sont simplement des vecteurs qui stimulent et activent l’esprit et le corps du spectateur. »
C’est sans doute cette invitation faite au public, cette importance accordée à la place du spectateur au cœur même de l’œuvre qui permet aujourd’hui à l’art de trouver une résonance auprès de tout public et de prendre une place prépondérante dans nos sociétés contemporaines.